TK-21. “De l’incertitude qui vient des rêves”

article de Marie Barbuscia (extrait)

TK-21 LaRevue nº 128, 22 février 2022

Dans son œuvre « De l’incertitude qui vient des rêves », Estefanía Peñafiel Loaiza fait échos aussi bien au prologue cinématographique du Chien Andalou (1929) par Buñuel et Dali qu’à l’essai éponyme de Roger Caillois rédigé en 1983.

Nous devons donc en conclure que l’artiste brouille les pistes de lecture sautant d’une citation à une autre puisque c’est ainsi qu’elle s’est forgée l’œil. D’autant que Luis Buñuel et Salvador Dali sont deux figures qui se font de l’œil un sujet qu’ils n’ont cessé d’entrevoir au couteau : le regard et sa mise en scène. Ce regard comme un tiers fait figure d’acteur sur l’horizon oculaire des spectateurs. Il est vu, entre rêve et réalité, entre fiction et vérité. Il est en présence dans l’œuvre saisissante « De l’incertitude qui vient des rêves » de Estefanía Peñafiel Loaiza.

Que faire de l’image d’un fin couteau de cuisine à barbe tailladant lentement avec une régularité mécanique cet œil en fine lamelle, provoquant sous le coup de l’exécution, l’ouverture obscène de ses filaments visqueux. C’est cette attractive répulsion hissée comme fantasme absolu qui est précisément libéré et exhibé dès la sortie du film et qui ne cesse de troubler encore ses héritiers.

Dans le reflet au creux d’une rétine, cette scène si particulière du Chien Andalou sur le cristallin de cet œil-ci rend ici plus qu’ailleurs les nerfs optiques. S’ouvrir, se refermer, l’œil est intentionnellement un fugitif en lieu clos. Que faisons-nous d’une telle rétention ? Nous rabattons nos cils sur la cruauté du geste et nous la faisons entrer en nous tel un souvenir évanescent, toujours prêt à se raviver à la moindre sommation du film de Buñuel ?

La grogne du Chien andalou tient en quelques images qui fragmente la nature même du « regard » ? Et si, nous participions involontairement à cette hallucination collective ?

La lame à l’œil : En quoi l’association surréaliste tient-elle du politique ?
La tâche s’annonce difficile tant nous nous l’occultons. Ce qui crève les yeux rend le paradoxe d’autant plus complexe pour y voir clair.

Au commencement était le grésillement, le noir absolu, ses bruits sourds qui agissent comme autant de preuves que la machine a disjoncté. Les oreilles n’ont pas de paupières mais « L’œil écoute  » écrivait quant à lui, Paul Claudel — et ce que nous entendons visuellement, c’est le désordre de ce qui est en train d’advenir, ce chaos qui nous sautera ensuite aux yeux. La camera fait ses réglages dans un flou d’apparat. On croit reconnaître les sonorités du reproductible qu’elles proviennent de l’obturateur d’un appareil photographique ou de la mise en rut d’une imprimante. On sent qu’un visage de femme s’imprime en nous sans qu’il soit possible d’en distinguer les contours. Et puis, un œil en gros plan surgit sur lequel se greffe l’image de sa contemplation. Avec elle, l’éternel retour de l’obsédante image dans la cornée de cette femme qui est vue de profil de sorte qu’elle pense davantage encore qu’elle ne regarde : La tension attentive.

La vidéo est ensuite focalisée sur l’impression de la rétine qui fixe non sans clignement au-devant de la projection dans laquelle figure l’œil qui va vers son sacrifice, il s’agit d’une réduction de la séquence de l’œil du Chien Andalou de Buñuel. Si l’élément saillant du film du Chien Andalou tient en une infime seconde sur la pellicule montée, il est impossible de ne pas le relier aux scènes précédentes et celles qu’elles génèrent. Or, Estefanía Peñafiel Loaiza se concentre sur 4 images en particulier qu’elles isolent de la série. Elle ne présente que l’œil ouvert d’une jeune femme dont le nom d’actrice n’est autre que Simone Mareuil (mar-œil), la lame de rasoir, le passage du nuage (formant un écran noir sur la rétine de la femme) et successivement l’œil de veau lacéré.

(…)

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