Estefanía Peñafiel Loaiza – par Camille Paulhan

Portraits La galerie, novembre 2009

Estefanía Peñafiel Loaiza travaille comme une archéologue de l’image ; dans l’ombre, elle s’intéresse non pas à ce qui est visible dans une image, mais à ce qui se trame derrière elle. Une vidéo réalisée alors qu’elle était encore étudiante aux Beaux-Arts de Paris nous montre différentes images d’objets filmés dans un appartement. L’occupation des lieux, la présence humaine transparaissent à travers diverses traces : poussières, taches, auréoles, autant de manifestations à peine visibles mais qui en disent moins sur elles-mêmes que sur ce qui n’est pas montré. Laisser une trace, marquer quelque chose, autant de gestes qui intéressent l’artiste par ce qu’ils sous-entendent.

À peine des images, certaines de ses œuvres seraient plus du côté de l’imagination : le mot, lorsqu’il ne reste plus d’images, conserve un pouvoir évocateur particulièrement fort. Ainsi, en laissant au sens premier du terme sa trace, par le biais d’empreintes digitales, elle cherche à provoquer le souvenir, le trait marquant, la petite émotion qu’un mot seul peut engendrer. Pour ce faire, elle dissémine sur des vitres des mots, phrases, dessinés par les seuls dermoglyphes au moyen de pochoirs. Ici, ce sont des mots d’Arméniens en exil évoquant pour eux le pays quitté (Mirage(s), Arménie, 2006), là le souvenir de mouvements ouvriers des Canuts de Lyon (Entretemps, 2007). À peine perceptibles, ces mots se déploient sous nos yeux sans que nous les voyions forcément : lors de l’exposition des Félicités des Beaux-Arts, en 2007, l’artiste avait déployé sur les larges portes de la salle d’exposition de l’école différents mots faisant référence au passé politique de cette dernière pendant mai 68. Rares furent les spectateurs à prendre en compte ces très légères perturbations, qu’un seul coup de chiffon viendrait effacer, et dont certaines pourtant persistent encore aujourd’hui, comme si elles étaient gravées dans le verre.

La trace, chez l’artiste, est ainsi constamment liée au souvenir. Pourtant, elle choisit très souvent des matériaux précaires, fragiles qui semblent aller à l’encontre du souvenir et de sa conservation dans le temps. Ce que nous apprend Estefanía Peñafiel Loaiza va cependant bien au-delà de ces considérations, puisqu’elle nous apprend que la mémoire n’est pas celle des monuments et des commémorations, mais qu’elle est plutôt cette petite mémoire qu’évoquait si bien Christian Boltanski : celle qui n’entre pas dans les livres d’histoire mais qui se chuchote à l’oreille, la plage où nous allions quand nous étions petits, le prénom du voisin aujourd’hui décédé, une mélodie qui rappelle un sentiment amoureux. Quand elle emprisonne dans la cire des objets ayant une signification particulière pour ses amis (Collection de secrets, 2003), elle cache pour mieux révéler le souvenir, présent par la simple évocation de l’objet. Comme dans À bruit secret de Marcel Duchamp, un objet est caché ; et pourtant, même révélé, il n’évoquerait rien au spectateur. Mais l’important est avant tout de réunir ces petits blocs, émotions recouvertes de cire qu’un changement brusque de température dénuderait.

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